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Les paroles de Mohammad ‘Abd Alwahhab
[1] et ses mélodies me parviennent et une ancienne sensation s’empare de moi. Je suis dans ma période d’élève interne
[2] à Fas
[3], au Mghrib.
[4] J’étais au lycée. Parfois, avec d’autres internes, je me débrouillais pour écouter un transistor
[5] et travailler en même temps. Lorsque c’était Mohammad ‘Abd Alwahhab, je ne faisais qu’écouter…
Mouçaafiroune zaadohou lkhayaalou…
[6]C’était la fin des années soixante. Je ne pensais pas du tout qu’après le baccalauréat, j’allais quitter l’Afrique
[7] pour continuer mes études dans un pays d’Europe,
[8] la France.
[9]Est-ce que je savais ce que je voulais faire ? Par moments, il m’arrivait après l’agression impérialo-sioniste de juin 1967,
[10] d’être préoccupé par la libération de Filistine,
[11] et de m’imaginer parmi les libérateurs. Il m’était même arrivé de vivre un moment d’exaltation d’un de mes frères
[12] qui écoutait mon « reportage » lui attribuant un grand rôle dans les combats libératoires.
Je ne savais rien sur l’impérialisme, sur le sionisme, sur les régimes dits « arabo-musulmans » ou autres, au service de l’impérialo-sionisme.
Des années se sont écoulées. Des saisons ont succédé aux saisons.
Les deux enfants que j’ai eus avec mon épouse sont adultes, et nous sommes installés tous les quatre en France. Et seul Allah sait pour combien de temps encore et où finira le parcours de chacun ici-bas.
Et Filistine ?
En France, il y a sûrement beaucoup plus à faire pour sa libération.
BOUAZZA
[1] Chanteur et compositeur d’Egypte (1907-1991) que j’écoute à intervalles irréguliers.
[2] J’ai connu l’internat dés l’école primaire. Un ami de mon père s’était arrangé pour que j’y sois sans payer (même si mon père avait les moyens de payer). Au collège, après la première année et une partie de la deuxième à l’internat, je suis resté en famille à Casablanca. Je suis retourné à la fin de l’année à Khemisset, pour des raisons de santé que j’ai déjà signalés dans d’autres textes. Je me suis installé chez une de mes sœurs (décédée en 1970). Pour le lycée, l’ami de mon père s’est arrangé pour que je sois boursier. Après le baccalauréat, j’étais inscrit à l’École Normale Supérieure (l’E.N.S.) à Rabat, avec un pré-salaire. Mais, toujours pour des raisons de santé, je ne pouvais pas rester dans cette ville et à l’époque, je ne pouvais poursuivre des études universitaires que dans cette ville. En venant en France pour étudier, je n’ai pas obtenu le transfert du pré-salaire. L’aide matérielle de mon père était symbolique. J’ai dû travailler un peu, lorsque je trouvais « un petit boulot » pour avoir un peu d’argent. J’ai eu le soutien matériel de quelques camarades et d’un de mes frères que j’ai cité ailleurs. Et après, suite à l’échec de ce qui a été appelé le « putsch » du 16 août 1972 (et le ratage de celui du 10 juillet 1971), le système en place au Maroc a décidé l’année suivante d’accorder une bourse, pratiquement à tous les étudiants. Une bonne bourse. J’en ai donc eu une.
[3] Fès.
[4] Le « r » roulé. Maroc.
[5] Il appartenait à ma sœur décédée en 1970, la première année de mon arrivée en France. On ne m’a pas informé de son décès « pour que mes études ne soient pas perturbées ». Après une période de « perturbations », j’ai cumulé des diplômes, pas dans le but de « faire carrière ». Et en France, un tel cumul n’écarte pas le « déclassement », surtout dans mon cas.
[6] Un voyageur dont la nourriture est l’imaginaire…
[7] Ifriqya (le « r » roulé).
[8] Eurobbaa (le « r » roulé).
[9] Franeça, Faraneça (le « r » roulé).
[10] J’avais dix sept ans.
[11] Palestine.
[12] Il est installé depuis des années, à Lkhmiçatte (Khemisset), hébergé, comme toujours, dans une maison de notre père, aujourd’hui décédé. Il a été chargé de faire marcher un café installé au rez-de-chaussée de cette maison. Il n’y est pas arrivé. Des membres de la famille l’aident plus ou moins à avoir le minimum. Âgé aujourd’hui de presque cinquante quatre ans (cinq ans et demi de moins que moi), il est marié et père de deux filles, dont une va bientôt passer son baccalauréat ine cha Allah. De temps à autre, j’ai de ses nouvelles par d’autres. Lorsque nous étions jeunes, nous étions, comme dirait l’autre, les meilleurs frères du monde.
J’ai connu cette maison, il y a de cela trente deux ans. Le rez-de-chaussée n’était pas encore transformé en café. Je l’ai occupé pendant plusieurs mois. Avant mon arrivée, des membres de la famille qui ne voulaient pas que j’y sois, l’ont entièrement vidé alors qu’elle était luxueusement meublée. Ils ne m’ont même pas laissé un matelas par terre pour dormir avec mon épouse et notre enfant. Les fils électriques pour mettre des ampoules ont été arrachés, et d’autres dégradations, entreprises. Je me suis beaucoup occupé des ouvriers qui y ont réalisé de longs travaux : Réparation des fils électriques sectionnés, réfection de la salle de bain, nouvelle installation d’eau pour remplacer l’installation défaillante, construction d’une cheminée, travaux de boiserie et de ferronnerie, peinture générale et autres. J’ai rendu à mon père une maison remise à neuf par mes soins, ceux de mon épouse et à nos frais. J’en garde, malgré tout, un bon souvenir : Je revenais au Maroc avec mon épouse justement et notre premier enfant, et l’année d’après, nous avons eu notre deuxième enfant.
Après cette maison, nous en avons loué une dans un autre quartier. Nous y avons passé plusieurs mois, avant de revenir en France où nous sommes encore.
Peu de temps après cette nouvelle installation en France, il y a vingt huit ans, mon père a subi une intervention chirurgicale à Paris. En retournant au Maroc, il m’a confié vingt deux mille francs de l’époque, en me demandant de les lui envoyer plus tard, lorsqu’il me le demanderait. Par la suite, il m’avait téléphoné afin que je remette deux mille francs à une de mes sœurs que j’aime et qui, après quelques années à Grenoble, finissait ses études dans une université parisienne. Elle est installée aujourd’hui à Casablanca (Ddar lbida) où elle est mariée et mère de deux enfants. Je lui ai remis les deux mille francs en précisant à mon père que je ne lui restituerai pas le reste. Je ne voulais pas m’approprier cet argent. Mon père était dans une phase où il continuait à dilapider un peu tout et j’avais décidé de garder la somme restante et d’attendre. Il a toujours aimé l’argent et il en a peu dépensé pour certains de ses enfants, dont je suis. Compte tenu de la pourriture du système en place au Maroc, il n’est pas très compliqué d’imaginer certaines pratiques de mon père, haut fonctionnaire d’une administration de « l’indépendance dans l’interdépendance », pour « arrondir ses fins de mois ».
Après quelques années, je lui ai restitué la somme que je gardais. Le dépôt (alamaana) est sacré. Cette somme, comme beaucoup d’autres, a sûrement été dépensée dans des futilités.
Au décès de mon père, il y a huit mois, j’ai signifié à la famille mon désistement concernant tout ce qui a trait à l’héritage.
Louange à Allah, Seigneur des Univers. Chaque créature a un rôle. Rien n’arrive par hasard.
Le temps imparti ici-bas par Allah à une de mes sœurs, à ma mère et à mon père est terminé. Seul Allah connaît la place de chacune et de chacun dans l’au-delà. Je l’invoque pour qu’Il leur pardonne et les couvre de Sa Miséricorde. Il est Celui qui ne pardonne pas qu’on Lui donne un associé, et pardonne le reste à qui Il veut. Il est Le Clément, Le Miséricordieux.
Ma place m’attend. J’invoque Allah pour qu’elle soit au Firdaws Ala’laa, au Paradis Suprême. Amine.