1933. Les généraux Catroux, Giraud et Huré, avec des dizaines de milliers d’hommes parmi lesquels des Sénégalais, des Maghrébins et autres, enrôlés dans les troupes colonialistes de la France, veulent mettre fin à la Résistance des Ayte ‘Atta,[1] au Maroc.[2]
C’est l’hiver. Dans le Sud, la chaîne montagneuse dite du Haut Atlas se soude au socle Saharien. Le jbl[3] Sarhro (Saghro) domine le sillon du Dads[4] et aide les Ayte ‘Atta à mieux tenir. La cuvette de Bou-Gafr,[5] qui constitue une partie du Sarhro, sert de forteresse à ‘Assou Oubaslam et à ses compagnons, des hommes, des femmes, des enfants déterminés à défendre ce qu’ils ne veulent pas abandonner.
Le paysage est vertigineux. La volonté ferme. La flamme ardente. La Foi inébranlable.
Les troupes colonialistes de la République ne comprennent pas comment une telle Résistance est possible. Des soldats sont saisis d’effroi face aux pertes de plus en plus nombreuses en vies humaines.
Une accalmie.
Un officier colonialiste est en train d’agoniser. Il se revoit écoutant des exposés, lisant des rapports, des articles, des bouquins ou bavardant avec des collègues :
« Ici, la volonté d’isolement des populations ne peut plus durer. Nous devons imposer le renouvellement. Ces indigènes doivent se mettre à l’heure de notre logique. La République se doit d’anéantir leur xénophobie. Nous apportons nos règles et notre grandeur pour sauver ces masses incultes. Nous sommes des pacifistes, parce que nous sommes ici pour pacifier cette terre. Nous devons pénétrer ces indigènes profondément. Avec finesse et psychologie. La République doit leur apprendre à moderniser leur économie et leurs sentiments. Avant nous, elles n’avaient rien. Avec nous, elles auront tout. La République a la charge d’éveiller les consciences. Nous allons assurer leur intégration dans notre univers. Leur assimilation. Nous devons développer cette terre et faire de ces indigènes des salariés reconnaissants. Il suffit de bien les étudier pour obtenir d’eux le meilleur rendement. En héritiers des légions Romaines, nous forcerons l’admiration. Nous devons partout, et par tous les moyens, imprimer les marques de notre pensée régénératrice. Le sang qui coule fertilise cette terre et rend féconde notre action qui a toujours entraîné l’enthousiasme. Nous sommes les missionnaires du droit international et de la civilisation universelle. Nous combattons des assassins et des barbares. La valeur de nos combattants, notre aide humanitaire, notre service médico-social sont exemplaires.
La colonisation ne se fait pas avec des pucelles et des rosiers. Notre mode de colonisation et notre domination ne sont égalés nulle part. Ils sont la preuve de notre génie. Cette terre est une réserve pour la métropole. Les indigènes ont besoin des maîtres que nous sommes. C’est pour leur bien que nous faisons ce que nous faisons. Il faut que les indigènes rentrent dans l’Histoire. Il faut qu’ils se soumettent à République. Nos intérêts sont des droits. Nous résister est un crime, il faut donc être sans pitié pour les criminels, les éliminer tous s’il le faut, pour que notre loi soit répandue. Rien ne doit freiner notre marche. La République doit imposer le respect. L’Etat doit mettre fin au délire des fanatiques sauvages. C’est une action qui a commencé depuis longtemps. En jllaba,[6] on ne peut pas penser. En babouches,[7] on ne peut pas avancer. »
L’officier colonialiste perd beaucoup de sang. Il fait un effort désespéré, parvient à sortir deux photos de sa poche. Sur l’une, il est avec sa jeune épouse, le jour du mariage, devant un édifice sur lequel apparaissent trois mot : Liberté-Egalité-Fraternité. L’autre photo est celle de deux enfants. Les siens. Il la pose sur sa bouche et rend le dernier soupir de son existence ici-bas.
Le jour n’est pas encore levé. Dans une grotte, quelques personnes et un chien dorment paisiblement. Dans une grotte voisine, des femmes donnent le sein aux bébés. D’autres femmes et des hommes prient.
L’accalmie est de courte durée.
Les combats reprennent. Les forces du colonialisme procèdent à des bombardements ininterrompus. Des éléments parmi les troupes de l’invasion semblent épuisés, saturés et effrayés devant la Résistance de ces populations qui paraissent se dissoudre dans l’espace et qui ont du temps une notion Autre.
Les bombardements font rage. Pendant presque deux mois. Sans répit. Jour et nuit.
Un matin, ‘Assou Oubaslam, tenant une fille dans ses bras et la couvrant d’une partie de son slham,[8] décide avec le reste des enfants, des femmes et des hommes de quitter la montagne.
Un nuage voile la clarté du jour. Ce nuage n’est pas dans le ciel, mais dans les yeux de ‘Assou Oubaslam. Des yeux qu’il n’a pas voulu empêcher de se remplir de larmes.
BOUAZZA
C’est l’hiver. Dans le Sud, la chaîne montagneuse dite du Haut Atlas se soude au socle Saharien. Le jbl[3] Sarhro (Saghro) domine le sillon du Dads[4] et aide les Ayte ‘Atta à mieux tenir. La cuvette de Bou-Gafr,[5] qui constitue une partie du Sarhro, sert de forteresse à ‘Assou Oubaslam et à ses compagnons, des hommes, des femmes, des enfants déterminés à défendre ce qu’ils ne veulent pas abandonner.
Le paysage est vertigineux. La volonté ferme. La flamme ardente. La Foi inébranlable.
Les troupes colonialistes de la République ne comprennent pas comment une telle Résistance est possible. Des soldats sont saisis d’effroi face aux pertes de plus en plus nombreuses en vies humaines.
Une accalmie.
Un officier colonialiste est en train d’agoniser. Il se revoit écoutant des exposés, lisant des rapports, des articles, des bouquins ou bavardant avec des collègues :
« Ici, la volonté d’isolement des populations ne peut plus durer. Nous devons imposer le renouvellement. Ces indigènes doivent se mettre à l’heure de notre logique. La République se doit d’anéantir leur xénophobie. Nous apportons nos règles et notre grandeur pour sauver ces masses incultes. Nous sommes des pacifistes, parce que nous sommes ici pour pacifier cette terre. Nous devons pénétrer ces indigènes profondément. Avec finesse et psychologie. La République doit leur apprendre à moderniser leur économie et leurs sentiments. Avant nous, elles n’avaient rien. Avec nous, elles auront tout. La République a la charge d’éveiller les consciences. Nous allons assurer leur intégration dans notre univers. Leur assimilation. Nous devons développer cette terre et faire de ces indigènes des salariés reconnaissants. Il suffit de bien les étudier pour obtenir d’eux le meilleur rendement. En héritiers des légions Romaines, nous forcerons l’admiration. Nous devons partout, et par tous les moyens, imprimer les marques de notre pensée régénératrice. Le sang qui coule fertilise cette terre et rend féconde notre action qui a toujours entraîné l’enthousiasme. Nous sommes les missionnaires du droit international et de la civilisation universelle. Nous combattons des assassins et des barbares. La valeur de nos combattants, notre aide humanitaire, notre service médico-social sont exemplaires.
La colonisation ne se fait pas avec des pucelles et des rosiers. Notre mode de colonisation et notre domination ne sont égalés nulle part. Ils sont la preuve de notre génie. Cette terre est une réserve pour la métropole. Les indigènes ont besoin des maîtres que nous sommes. C’est pour leur bien que nous faisons ce que nous faisons. Il faut que les indigènes rentrent dans l’Histoire. Il faut qu’ils se soumettent à République. Nos intérêts sont des droits. Nous résister est un crime, il faut donc être sans pitié pour les criminels, les éliminer tous s’il le faut, pour que notre loi soit répandue. Rien ne doit freiner notre marche. La République doit imposer le respect. L’Etat doit mettre fin au délire des fanatiques sauvages. C’est une action qui a commencé depuis longtemps. En jllaba,[6] on ne peut pas penser. En babouches,[7] on ne peut pas avancer. »
L’officier colonialiste perd beaucoup de sang. Il fait un effort désespéré, parvient à sortir deux photos de sa poche. Sur l’une, il est avec sa jeune épouse, le jour du mariage, devant un édifice sur lequel apparaissent trois mot : Liberté-Egalité-Fraternité. L’autre photo est celle de deux enfants. Les siens. Il la pose sur sa bouche et rend le dernier soupir de son existence ici-bas.
Le jour n’est pas encore levé. Dans une grotte, quelques personnes et un chien dorment paisiblement. Dans une grotte voisine, des femmes donnent le sein aux bébés. D’autres femmes et des hommes prient.
L’accalmie est de courte durée.
Les combats reprennent. Les forces du colonialisme procèdent à des bombardements ininterrompus. Des éléments parmi les troupes de l’invasion semblent épuisés, saturés et effrayés devant la Résistance de ces populations qui paraissent se dissoudre dans l’espace et qui ont du temps une notion Autre.
Les bombardements font rage. Pendant presque deux mois. Sans répit. Jour et nuit.
Un matin, ‘Assou Oubaslam, tenant une fille dans ses bras et la couvrant d’une partie de son slham,[8] décide avec le reste des enfants, des femmes et des hommes de quitter la montagne.
Un nuage voile la clarté du jour. Ce nuage n’est pas dans le ciel, mais dans les yeux de ‘Assou Oubaslam. Des yeux qu’il n’a pas voulu empêcher de se remplir de larmes.
BOUAZZA
[1] Aït ‘Atta.
[2] Maghrib.
[3] Jbel, jabal : Montagne.
[4] Dadès.
[5] Bou-Gafer.
[6] Djellaba. Habit long à capuchon, en laine ou autres, porté par les indigènes au Mghrib, ou ailleurs.
[7] Blgha. Chaussure plate, généralement en cuir, ouverte derrière, portée par les indigènes au Mghrib, ou ailleurs.
[8] Brnous, Burnous. Cape à capuchon, généralement en laine, portée par les indigènes au Mghrib, ou ailleurs.
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