dimanche 28 octobre 2007

DÉMARCHE AUTRE.





Après des emplois au Maroc de «l’indépendance dans l’interdépendance», et d’autres dans la fonction publique territoriale en région parisienne, J’ai été appelé ailleurs. Avec mon attachement à une certaine conception de l’intérêt général qui n’a pas pu cohabiter avec l’idée de «grimper les échelons», je suis encore parti.
Je me suis intéressé au suivi, dit éducatif, de jeunes concernés par des décisions judiciaires. Et comme dans les autres emplois, l’idée de «faire carrière» ne m’effleure pas. J’ai opté pour l’intervention auprès des mineurs délinquants incarcérés.
Initiative brocardée et mise à l’indexe par des donneurs de leçons qui se veulent à «l’avant-garde du combat laïc pour la ré-pub-lique[1]».
Je me suis lancé dans cette activité en détention à un âge où beaucoup de donneurs de leçons continuent les combines «pour assurer une retraite confortable».
Bien que je sois juriste de formation, mon choix n’a pas été dicté par l’attrait de textes de droit. J’ai voulu mieux comprendre ce qui est singulier dans le suivi dit éducatif des mineurs concernés par des décisions judiciaires, et saisir ce qui peut être important dans la manière de travailler avec eux et avec leurs familles.
En choisissant d’intervenir en prison, je savais bien entendu, que dans leur grande majorité, les mineurs délinquants incarcérés, ne sont pas étrangers au processus migratoire. Cela a t-il été déterminant dans mon choix ? Était-ce plutôt la continuation de la réflexion sur la question du dehors et du dedans ?
Ces mineurs sont souvent issus de familles originaires d’Afrique[2].
Ainsi, la famille d’origine d’Afrique par exemple, a des aspects multiples et divers qu’il importe de ne pas méconnaître et qu’il faut étudier. C’est dire que lorsqu'un mineur est incarcéré, cela soulève des questions se rapportant aux structures familiales, aux systèmes de parenté et par conséquent aux fondements même des comportements sociaux.
Je fais de mon mieux pour ne pas perdre de vue ces données. Et je ne cesse de m’interroger :

– Comment saisir les enjeux par rapports aux textes ?
– Comment envisager les rapports à la loi ?
– Comment tenir compte de certaines spécificités au sein d’une société, sans ignorer la réalité ?
– Comment chercher l’équilibre dans une situation compromise ?

Il est important de chercher des réponses à ces questions et à d’autres.
Pour les parents concernés par le processus migratoire[3] par exemple, les parcours comprennent de multiples et diverses ruptures, d’innombrables transformations et révisions. Cela a des répercussions et des effets sur les enfants, sur les fonctions, sur les rôles et sur les places.
Ces parents se trouvent dans des situations et dans des environnements qui leur demandent de nouveaux comportements, d’autres modes de vie, de nouvelles attitudes par rapport à des croyances, à des convictions, à des traditions et autres.
Ils sont tenus de faire face à des changements continus qui nécessitent de s’adapter, sans cesse, à des remaniements successifs dans des contextes en mouvement.
Dans les sociétés de départ, ces parents ont connu des manques dans divers domaines. Leurs familles ont connu des souffrances pour trouver des moyens de subsistances en milieu rural ou citadin, dans des bidonvilles ou des habitats de ce genre, plongées dans la misère, maintenues dans l’ignorance, sans formation, sans soins et sans beaucoup d’autres choses. Les enfants n’échappent pas à certaines conséquences de ces manques. Les incidences, multiples, n’épargnent pas les modes d’organisation familiale et les rapports qui en résultent.
De ce fait, les fonctions, les rôles et les places des parents et des enfants se modifient. Elles imposent de multiples interrogations :

– Quelle démarche éducative mettre en oeuvre ?
– Comment travailler sur les histoires familiales ?
– Comment échanger sur les devoirs et les droits des parents ?
– Comment ne pas «oublier» de tenir compte de l’autorité parentale ?
– Comment écouter les parents ?
– Comment ne pas ignorer leurs cultures, leurs pratiques éducatives, leurs savoirs ?
– Comment ne pas les mépriser ?
– Comment éviter certaines représentations, des préjugés, des amalgames ?
– Comment ne pas recourir à la mentalité colonialiste ?
– Comment ne pas tomber dans l’arrogance ?
– Comment instaurer une dynamique relationnelle dans le respect mutuel ?

Dans mes rapports avec les collègues et les partenaires de travail, je fais de mon mieux pour attirer l’attention sur ces questionnements en ayant toujours recours à des mots simples, en évitant les discours empruntés, la phraséologie creuse ou de circonstance, les termes pervertis ou le jargon de «penseurs» de bistrot.
Je fais ce que je peux pour agir dans un esprit de collaboration saine. Dans tous les sens du terme.
C’est un effort de tous les instants que des êtres, fonctionnaires et autres salariés, donneurs de leçons, y compris bien entendu parmi la hiérarchie, mettent à rude épreuve. Des êtres arrogants. Des êtres qui entretiennent la tricherie, le mensonge. Des êtres forts en gueule. Des êtres qui tentent d’user d’expressions recherchées, complexes, paravent de l’ignorance. Des êtres médiocres qui essayent de se faire passer pour des experts. Des êtres qui travestissent les faits. Des êtres qui insultent la réalité. Des êtres qui sur le temps de travail pratiquent la présence à la carte. Des êtres qui font la semaine de moins de vingt heures, en comptant le temps des réunions, et se plaignent d’être harassés, débordés par le travail en prétendant faire des journées de plus de dix heures pour étayer des revendications sans fondement. Des êtres en surnombre mais qui réclament l’augmentation du personnel car ils ne sont pas assez nombreux «pour accomplir leur mission éducative». Des faux jetons. Des êtres qui ont recours à n’importe quoi pour obtenir des «indemnités», des remboursements de «frais» ou autres.
Des êtres qui font de l’opposition parce que les décisions judiciaires «ne sont pas souvent conformes» à leur «positionnement éducatif concernant ce qui se rapporte aux mineurs dans les divers domaines».
Des êtres sans méthode, sans rigueur, sans cohérence, sans cohésion, d’une immaturité chronique. Des êtres d’une grande incapacité.
Des êtres qui ne sont crédibles ni auprès des mineurs, ni auprès des familles.
Que fait, en vrai, cette espèce chargée du suivi éducatif des mineurs concernés par des décisions judiciaires ?
Des dégâts.
De graves dégâts «habillés» par «l’éducatif» (les ducs à tiffes), parlotte de planqués, de tirs au flanc, d’incompétents, et d’inaptes.
Beaucoup de dégâts. Des dégâts énormes.

Avec les mineurs incarcérés et leurs familles, j’apprends, je découvre, j’observe, j’appréhende, j’étudie, je transmets, je communique, je développe, j’enseigne et partage la modestie, l’humilité la simplicité, la dignité la relation, l’échange les faiblesses, les forces, l’estime, la crédibilité la considération, la confiance, le respect, la réciprocité, la responsabilité, la rigueur, l’autorité, la compétence, l’ouverture, l’émotion, la différence, les luttes, les épreuves, les souffrances, l’apaisement, la résistance, l’endurance, le sens, le lien l’équilibre, l’espoir, l’amour.
La Foi.



BOUAZZA

[1] J’ai l’habitude de ce langage. Je connais le «cheptel» (dans cette expression empruntée, l’utilisation du terme «cheptel» ne doit en aucun cas être comprise comme une dévalorisation des animaux).
[2] Il y a lieu de préciser ici, pour ceux et celles qui ne le savent pas encore, que le «Maghreb» fait partie de l’Afrique.
[3] Sur lequel il faut réfléchir en lien avec le colonialisme, l’impérialisme et autres.

1 commentaire:

Anonyme a dit…
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